@Elyza: Je compte bien l'faire, je compte bien l'faire...
@Katie: Ah ben toi, chut, c'est de la triche, tu connais tout...Faut pas casser le maigre suspens que j'ai créé péniblement!
Allez, la suite (hein que vous l'attendiez avec impatience, hein?
)!
Les prédictions
« Tu dois avoir faim, je crois ? s’enquit Charlie.
-Très faim. Je crève la dalle. J‘ai pas bouffé autre chose que des rats depuis perpèt’. »
Charlie hocha la tête d’un air blasé.
« La bouffe d’ici ne va pas te changer beaucoup. »
Hannah se leva.
« Y’est où, Lockie ? dit-elle brusquement.
-Le bébé ? Tu l’as laissé près du vélo, Joss, couillon ! Vas-le chercher ! » gronda Charlie qui comprenait vite.
Joss eut une petite moue contrite et disparut à un coin de la pièce.
Everard semblait irrité.
« Un gamin ? Mais c’est pas une crèche, ici ! s’exclama t’il.
-Si je reste rétorqua Hannah en croisant les bras, il reste aussi. Je mets les points sur les « i » dès le début.
-Le tigre, il reste aussi ? s’enquit Joss que la question préoccupait.
-Le tigre aussi.
-Génial ! s’écria joyeusement Joss, soudainement heureux, qui était revenu sans Lockie. Il s’appelle comment, ton tigre ?
-C’est Caractacus. Le nom d’un vieux con de l’orphelinat.
-Caracta…Carcata…Quoi ? dit Joss qui arrivait pas à prononcer le mot.
-Caractacus.
-C’est un chouette nom !
-Merci.
-Et le bébé, il s’appelle comment ? demanda encore Joss qui était décidément intarissable.
-Je l’ai appelé Lockie fit Hannah qui riait de la curiosité enfantine de Joss.
-C’est marrant dit Joss en offrant à Hannah un sourit aux dents écartées.
-Je prends ça comme un compliment ?
-Oui » dit Joss sans se départir de son sourire.
Caractacus avait sauté sur l’épaule de Joss, sa queue enroulée autour du bras gauche du gamin.
Pendant que Joss et Hannah discutaient, Charlie était allé chercher Lockie en levant les yeux au ciel à cause de la distraction de Joss. Quand à Everard, il remuait pensivement une soupe qui ressemblait à de la boue dans une marmite, au dessus des flammes de la cheminée.
Félix et Joss regardaient Lockie avec curiosité. Le gamin, ravi d’être un centre d’intérêt papotait joyeusement.
« Baaa…Be bi bo bu. »
Joss regarda Félix, interrogatif.
« Qu’est-ce qu’il dit, à ton avis? »
Charlie répondit à la place de Félix, assez vertement
« Il babille, ça se voit pas ? Qu’est-ce que crois qu’il peut dire à cet âge ? Il essaye juste de discuter un peu mais ce qu’il dit n’a pas de sens, enfin. »
Charlie se replongea alors dans le livre à la couverture déchiquetée qu’il tenait à la main.
« Quel âge il a, à votre avis ? demanda Félix qui avait remis son chapeau et se grattait le bras.
-Un an dit Joss sans réfléchir.
-Deux ans proposa Everard du fond de la cheminée.
-Un an et demi » dit Hannah.
Il y eut un temps de vide où on n’entendit que le bruit de la cuillère remuant la soupe boueuse d’Everard puis Félix reprit :
« A cet âge, ça clope, tu crois ? » s’interrogea Félix, plus pour lui que pour les autres.
Charlie referma à nouveau son bouquin de trois centimètres d’épaisseur et lâcha un unique :
« Crétin. »
Hannah avait entendu aussi.
« ON PEUT PAS FUMER SI JEUNE, CRETIN ! » cria t’elle, furieuse.
Ce fut le moment qu’Everard choisit pour demander à la ronde :
« Vous avez faim, les poteaux ? »
Un « oui » unanime s’éleva de l’assistance. Les garçons s’assirent autour d’une vieille table, si ancienne que ses coins étaient ronds et son bois grisâtre. Félix se laissa tomber sur une chaise, la seule ayant les quatre pieds de la même longueur. Everard s’assit sur une chaise bancale, Hannah eut droit à une caisse renversée. Charlie et Joss s’assirent sur un banc de bois peint en blanc à-peu-près présentable et Everard amena la marmite. Joss disposa des assiettes ébréchées par des années de services laborieux et Félix versa une louche de soupe couleur boue dans chaque assiettes et s’excusa auprès de Hannah :
« La soupe est pas fameuse du tout mais personne ici ne sait en faire une correcte.
-Je sais en faire, moi de la soupe ! s’écria soudain Hannah. Si vous me gardez, je vous en ferais tous les jours. Et de la tarte, aussi » promit-elle.
Les garçons semblaient partagés. Everard remua mélancoliquement sa soupe du bout de sa cuillère. Malgré le fait que cette soupe soit son œuvre, il admettait volontiers qu’elle était aussi une aberration culinaire écœurante. C’est pourquoi cette histoire de soupe lui plaisait plutôt…Même s’il restait l’hypothèse que la soupe de Hannah soit aussi répugnante que la sienne.
Joss, par contre, voulait absolument que Hannah reste parce qu’il voyait en Lockie et Caractacus de nouveau compagnons de jeu. Charlie se fichait relativement de cette histoire. Félix était d’accord pour accueillir Hannah mais il ne savait pas pourquoi et n’avait pas le courage d’y réfléchir.
Finalement, Félix se mit debout sur sa chaise et clama :
« Que celui qui veuille que Hannah parte lève le doigt ! »
Everard leva un doigt hésitant.
« Mmh dit Félix, prenant sa voix de général exhortant ses troupes. Un vote contre. Qui veut que Hannah reste ? »
Charlie leva le nez et leva machinalement le doigt. Joss leva la main avec enthousiasme, suivi d’Everard qui n’avait pas le droit de voter deux fois. Voyant que tout le monde avait voté, Félix leva la main pompeusement, son chapeau sur les yeux.
Hannah sentit une vague de soulagement l’envahir. Elle avait eu peur d’être rejetée à la rue et de passer le reste de son existence à mendier misérablement.
Ici, elle avait un toit, au moins. De la compagnie. Et de la boue chaude en guise de soupe…Problème auquel elle se jura de remédier le plus vite possible.
« Les garçons ne sauraient pas se débrouiller sans les filles » songea Hannah avec amusement.
Hannah se leva sans avoir goûté sa soupe et alla fouiller dans sa sacoche. Elle en sortit une bouteille de lait qu’elle avait gardée pendant quelques jours pour Lockie.
C’était une bouteille pleine, qu’elle avait volée en passant la main par la fenêtre d’une demeure cossue, sous les cris de la propriétaire. Ben oui, voler c’était mal.
Mais comment aurait-elle pu faire autrement, sans argent, sans honneur? Lockie avait absolument besoin de ce lait…Et ces gens semblaient avoir bien assez d’argent pour racheter une bouteille. Hannah n’avait donc pas honte de son acte.
Elle avait des circonstances atténuantes, tout de même…
Hannah déboucha la bouteille et versa un peu de son contenu dans la bouche de Lockie qui bût goulûment un quart de la bouteille. C’est alors que quelque chose frappa à la porte.
« Nom et mot de passe ! brailla Joss.
-Ce doit être le Fantôme dit Everard. A chaque fois que quelqu’un arrive, elle est là pour l’accueillir. Je ne sais pas comment elle fait ça…Elle a peut-être une sorte de sixième sens qui lui permet de savoir… »
Une jolie voix douce et mélodieuse s’éleva derrière la porte.
« C’est moi. Ephémère. Les juges sont mes ennemis, les portefeuilles mes amis ! »
Félix leva les yeux au ciel.
« C’était le mot de passe de la semaine dernière. »
Il reprit sa partie de carte avec Everard. Hannah, qui venait de poser sa bouteille de lait entamée sur une étagère pourrie et bancale hérissée de moulures rococo de très mauvais goût et écoutait vivement intéressée déclara :
« Le mot de passe, c’est pas vol…
-Tais-toi ! la remit en place Filou. T’es idiote ?
-Ah oui dit la voix à travers la porte, je me souviens, maintenant. Pas voleur pour vivre, voleur pour survivre !
-Je vais ouvrir » dit Joss à qui ça plaisait de faire le portier.
Félix lui jeta sa grosse clé grise. Le gamin l’attrapa au vol et l’enfonça dans la serrure rouillée.
La porte s’ouvrit avec un grincement épouvantable.
Ce fut là qu’apparu à Hannah le personnage le plus singulier qu’elle ait jamais vu.
Dans l’encadrement de la porte se dressait une sorte de fantôme aux immenses yeux rouges ourlés de longs cils blancs comme la neige.
Ses joues étaient aussi dépourvues de couleur que ses cils et sous la peau fine et transparente de ses tempes couraient de fines veines bleues qui ressemblaient à des traits d’encre.
La jeune fille portait une robe blanche et soyeuse et des chaussons de danse en satin de couleur grenat. Elle avait une dentition parfaite et blanche et de longs cheveux fins et laiteux qui lui tombaient à la poitrine et se déployaient en étoile autour d’elle comme ceux d’une noyée.
Son remarquable regard mélancolique la rendait très belle. Une sorte d’âme errante, de déesse folle aux cheveux libres et au regard splendide.
« Bonjour…Je suis Ephémère. Ils m’appellent Fantôme…Voudrais-tu que je te tire les cartes ? »
Le fantôme fit apparaître entre ses doigts une trentaine de cartes de tarot disposées en éventail et les fit disparaître à nouveau devant une Hannah intimidée par ce regard pénétrant et hypnotique.
« Euh…D’accord » bafouilla Hannah.
Ephémère s’assit lentement dans le canapé et disposa les cartes d’une manière complexe en quelques gestes précis sur le cuir gras. Les garçons avaient stoppé leur partie de carte et détaillaient à présent Ephémère avec curiosité. Elle marmonna quelque paroles que personne ne comprit avant de murmurer doucement quelque mots plus pour elle-même que pour l’assistance.
« Mmh…Des problèmes avec la justice. Un cheval, une évasion désastreuse, donc…Une jeune femme à la robe de feu…Une dame de fer, un train…Un amour éternel et un jeune homme à chapeau. Apparemment, c’est lié. »
Toute l’assistance se tourna naturellement vers Félix qui bafouilla quelques paroles incompréhensibles, gêné. Hannah rougit et trifouilla nerveusement sa frange. Mais Ephémère continuait.
« La France, la France, aussi…Bon, je crois que ce sera tout. »
Ephémère tendit à Hannah une sorte d’amulette. Un morceau de cuir auquel était liée par un brin de jonc une pointe de cristal violet et quelques herbes séchées, partant en miettes.
Ensuite, Ephémère s’avança vers Charlie et s’inclina brièvement devant lui.
« Fais attention à toi, Ephémère. »
Puis elle ouvrit la porte et s’évapora dans la nuit.
Voilààà